L'Impact des Classements QS, THE et Shanghai sur l'Enseignement Supérieur Mondial et le Défi de l'Afrique
QS, THE, Shanghai : Trois Acteurs Majeurs dans le Classement Universitaire Mondial
Le Quacquarelli Symonds (abrégé « QS »), le Times Higher Education (abrégé « THE ») et le Shanghai Ranking Consultancy (communément appelé le « classement de Shanghai ») sont les principaux organismes « indépendants » qui nous livrent chaque année un classement mondial des universités.
Se refusant d’être un ordinaire marronnier listant mécaniquement les « meilleures universités », ces classements, pour chacun de ces organismes, se renouvellent d’année en année et intègrent de nouveaux enjeux universitaires liés au développement durable, à la réputation, à l’impact (influence), à l’employabilité, etc.
Les méthodologies employées s’appuient (comme source de légitimité et non comme source technique) sur les préceptes rigoureux (appelés « principes de Berlin ») du groupe d’experts sur les classements internationaux mis en place par le Centre européen de l'UNESCO pour l'Enseignement Supérieur et l'Institute for Higher Education Policy. Au-delà des conventions, chaque classement est libre du choix de ses critères et présente donc intrinsèquement ses forces et ses faiblesses.
Dépendamment des objectifs de la personne qui interroge ces bases de données, grossièrement et sommairement, il est suggéré de miser sur le classement de Shanghai si l’on recherche les universités les plus performantes en recherche (publications de qualité dans des revues de connaissances savantes); sur QS si l’on recherche les universités les plus réputées auprès des autres universitaires et qui ont à cœur l’insertion professionnelle; sur THE lorsqu’on cherche l’entre-deux et que l’on a des critères moins spécifiques.
QS, THE, Shanghai : Catalyseurs de l'Internationalisation et de la Transformation de l'Enseignement Supérieur
Ces systèmes de classements internationaux sont le résultat de l’intérêt croissant des universités d’attirer des talents du monde en exhibant leur prestige et leur statut exceptionnel. De l’avis de Mikael Börjesson et Pablo Lillo Cea (Sociologues de l'éducation, Université Uppsala, Suède), l'idée de classer les universités doit être comprise en relation avec l'internationalisation et la commercialisation croissantes de l'enseignement supérieur et la création d'un marché mondial de l'enseignement supérieur.
Dans un pays comme la France qui était initialement mal classé en raison de l’organisation morcelée de son enseignement et de sa recherche (pourtant très réputée et productive), la popularité de ces classements a été un moteur de grandes réformes ayant conduit à la création de « communautés d’universités » comme Paris-Saclay ou Paris Sciences & Lettres devenues deux performeuses incontournables des classements. En Europe, Asie et Amérique, l'intensification de la couverture médiatique de ces classements a eu sans aucun doute un impact direct et réel sur la réorganisation des Universités. En analysant les critères de classement, la méthodologie, chaque institution, seule ou en alliance avec d’autres, ajuste sa politique et son organisation pour engranger des points et intégrer le fameux top 100.
QS, THE et Shanghai : La Productivité Scientifique comme Sceau d’Excellence
Cette année, sans grande surprise, le top 10 des meilleures Universités selon le Shanghai se compose (dans l’ordre) des éternelles indétrônables et leaders incontestés: Harvard, Stanford, MIT, Cambridge, UC Berkeley, Oxford, Columbia, Caltech et Chicago. Dans le classement de Shanghai, si l’on rentre dans les spécialités, une Université comme la Sorbonne (attention, entendre ici Paris IV et VI) classée 46e dans le rang général devient la 3e dans la discipline « mathématiques ». L’université de Toronto, 24e dans le rang général va prendre la 4e place pour l’enseignement de la « sociologie ». Il est donc fondamental d’aller au-delà du panorama, de la vue d’ensemble, pour saisir les subtilités de ces « rangs » en fonction des objectifs.
Le classement QS, à la différence des rangs et l’entrée en jeu de quelques universités d’exception, présente beaucoup de similarités avec celui de Shanghai. Ainsi dans le top 10 (dans l’ordre), on retrouve le MIT, Cambridge, Oxford, Harvard, Stanford, Imperial College London, ETH Zurich, NUS Singapore, UCL et UC Berkeley. QS offre également des classements intéressants sur les meilleures villes étudiantes (cette année, dans l’ordre, on retrouve Londres, Tokyo, Séoul, Melbourne, Munich, Paris, etc.), les universités le plus éco-responsables, celles offrant les meilleurs MBA, etc.
THE ne s’éloigne pas non plus des deux autres classements dans son top 10, car on retrouve dans l’ordre les universités d’Oxford, Stanford, MIT, Harvard, Cambridge, Princeton, Caltech, Imperial College of London, UC Berkeley et Yale. Ainsi donc, en analysant « de surface » ces classements on peut être tenté de croire qu’ils sont « semblables », mais au fond, beaucoup de critères les distinguent et font par exemple que la très réputée École Polytechnique Fédérale de Zurich (EPFZ) arrive 7e dans QS, alors qu’elle n’est classée que 11e et 20e, respectivement, dans THE et Shanghai. Tout est dans la pondération des indicateurs employés dans les classements. La persistance et/ou la coexistence de ces organismes de classement tient également du fait que chaque université (à défaut d’être dans le top 10 des 3 classements) ne promeut en général que le résultat ou elle est la plus performante.
Le paramètre le plus essentiel pour chacun de ces classements demeure la productivité scientifique. Pour être classé, il suffit de publier un nombre suffisant d'articles académiques sur une période donnée dans divers domaines de compétences (sciences de la vie, mathématiques, physiques, chimie, sciences environnementales, sciences sociales, etc.). En plus de ces données bibliométriques, l’obtention de prix jouissant d’une forte reconnaissance internationale comme le prix Nobel, ou la médaille Fields vient apporter un coefficient de fort impact dans le classement.
QS, THE et Shanghai : Et les Biais de ces Classements?
Il est important de rappeler que ces classements, comme toute œuvre, sont intrinsèquement biaisés. En effet, les organismes qui les produisent proposent aux Universités un coaching pour travailler sur les réformes stratégiques à entreprendre afin d’être plus performantes aux prochaines éditions. Et il a été remarqué que celles qui paient voient leurs rangs s’améliorer très convenablement dans les éditions suivantes.
Le biais courant de ces classements est également celui de la recherche du prestige et de la légitimité. À titre d’illustration, quand un célèbre journal sportif qui classe les meilleurs footballeurs du monde chaque année oserait placer Leo Messi à la 46e place, il y’a une forte probabilité que la crédibilité et la légitimité de ce journal soient mises en doute très rapidement. Ce qui, dans notre cas, emmène donc implicitement à placer toujours en tête de peloton les universités prestigieuses et dites « cool » qui ont marqué et marquent les esprits : Harvard, Oxford, Stanford, MIT même si d’autres universités ambitieuses d’Europe ou d’Asie ont la capacité de les détrôner.
L’utilisation du nombre de publications dans les deux plus prestigieuses revues scientifiques « Nature » et « Science » comme critère dans certains classements est tout simplement « impertinent » puisque les meilleurs articles de recherches (qui secouent et font avancer la science) ne sont pas forcément publiés dans ces deux journaux. À titre d’illustration fraiche, l’article (PMID: 16111635) qui a mené à la consécration de Katalin Karikó et Drew Weissman comme prix Nobel de médecine cette année 2023 avait été refusé avec « mépris » (<24h) par le journal « Nature ». C’est un journal beaucoup moins prestigieux à l’époque (« Immunity ») qui a accueilli avec enthousiasme la trouvaille des deux chercheurs sur les ARNm.
Enfin pour terminer, on peut rajouter dans cette liste non exhaustive de biais, l’intégration du nombre d’étudiants ayant été formés dans les universités en compétition. Sachant qu’une Université comme Oxford existe depuis plus de, tenez-vous bien, 927 ans, il est difficile pour les universités fondées après la 2e guerre mondiale de rivaliser sur ce point.
QS, THE et Shanghai : Et l’Afrique dans ces Classements ?
Dans les classements QS, THE et Shanghai, il est frappant de constater que très peu d'universités africaines figurent dans le top 200, voire simplement être citées dans ces listes prestigieuses.
La première université africaine qui apparait dans le classement de QS, l’université de Cap Town (Afrique du Sud) n’arrive qu’à la 173e place. Viennent ensuite les Universités de Witwatersrand (264e place, Afrique du Sud), de Stellenbosch (283e place, Afrique du Sud), de Johannesburg (306e place, Afrique du Sud), de Pretoria (323e place, Afrique du Sud) et du Caire (371e place, Égypte).
Dans le classement de Shanghai, les universités Cape Town, Witwatersrand et Stellenbosch conservent leurs places de 1res Africaines et trio de tête, mais se situent dans les blocs lointains et sans grand prestige de 201-300e, 301-400e et 401-500e, respectivement.
THE offre également un classement calibré spécifiquement pour les universités de l'Afrique subsaharienne ou ils évaluent leurs excellences dans trois domaines essentiels : l'enseignement, la recherche et l'impact sur la société. On retrouve ainsi dans le top 10 africain, l’Université Witwatersrand, Johannesburg, Muhimbili (Tanzanie), Pretoria, Makerere (Ouganda), Western Cape (Afrique du Sud), Covenant (Nigeria), UGHE (Rwanda), Ashesi (Ghana) et Ardhi (Tanzanie). Repris dans le classement général de THE, il est à noter que la 1re université africaine (Witwatersrand) ne se situe qu’au 300e rang. L’Afrique du Sud et plus globalement les nations anglophones d’Afrique trônent au sommet des classements universitaires du QS, THE et Shanghai.
Il est utile de préciser que les trois organismes de classements ne snobent ni ne sous-estiment les universités africaines puisque « compétir » dans ces classements est avant tout volontaire et le fruit d’initiative propre. Cette absence de l’Afrique pourrait s’expliquer d’un point de vue « académique » par la limitation des ressources investies dans la recherche, les obstacles liés à la visibilité internationale et à la diffusion des connaissances, mais aussi de façon plus globale par les défis structurels et économiques.
Cependant, lorsqu’on aborde la question dans un aspect purement observationnel, le problème se manifeste dans la vision africaine de l’Université comme « simple » continuité de la formation après le baccalauréat de l’enseignement secondaire; alors qu’au fond, elle est à voir (et à considérer) comme un haut lieu par excellence de production de savoirs qui se matérialise par les publications scientifiques et les brevets, qui par la suite se concrétisent en retombées économiques et sociales lorsque ce savoir est valorisé puis transféré à la communauté.
Qu’il s’agisse d’innovations techniques/technologiques ou de nouvelles approches en économie ou dans l’organisation du travail, in fine, il est attendu que l’université ne se contente pas (seulement) d’enseigner, mais de répondre chaque jour et de façon concrète aux défis de la communauté et améliorer son bien-être. C’est ainsi qu’elle gagne son prestige et sa légitimité.
Il est par exemple curieux (et dommage) de constater que l’Afrique ne soit pas le lieu principal d’où provient le « savoir » (et donc les solutions) sur les fléaux qui plombent son progrès comme le paludisme, l’immigration clandestine, le djihadisme, etc. Le continent se contente le plus souvent d’être un terrain d’étude ou de fournir des données et des échantillons aux centres de recherches européens et américains.
En sciences biomédicales notamment, beaucoup de travaux n’ont pas toujours été correctement crédités aux chercheurs africains qui les ont initiés au péril de leurs vies. C’est le cas du virus Ebola avec le Pr Jean-Jacques Muyembe (actuel directeur de l’Institut National de Recherche Biomédicale – INRB, RD Congo) ou du VIH-2 avec le Pr Souleymane Mboup (actuel directeur de l'Institut de Recherche en Santé, de Surveillance Épidémiologique et de Formations – IRESSEF, Sénégal) pour ne citer que ceux-là. C’est un manque à gagner énorme dans les « citations » et donc dans l’impact de la « science africaine » dans le monde de la recherche. Ce fossé de production ou de productivité scientifique est à chercher également dans l’absence de synergie pratique entre les hôpitaux et les universités (concept des Centres hospitaliers et Universitaires), véritable mine d’or pour « inonder de connaissances » des revues médicales comme, entre autres, le New England Journal of Medicine (NEJM) au facteur d’impact puissant pour faire connaitre ses travaux.
De surcroit, les Universités africaines n’ont pas encore su jouer leur rôle légitime (et de droit) dans la conversion sure et sérieuse, par des études biomédicales rigoureuses, de la médecine orthodoxe en discipline scientifique. Cette promptitude en Afrique à dire que « telle plante soigne telle maladie » devrait en théorie être suivie « promptement » d’un pragmatisme à l’Université (lieu de production de savoirs, répétons-le) qui conduirait la pratique traditionnelle de la santé à la science de pointe. C’est ainsi qu’avait fait la Chine, en plein milieu d’une guerre avec le Vietnam pour découvrir l’artémisinine qui a modifié radicalement le paysage de la lutte contre le paludisme (le Pr Youyou Tu fut sanctionné par un prix Nobel en 2015 pour cette découverte majeure).
Les questions biomédicales, en raison de mon biais « de formation » sont les plus évoquées ici, mais il en est de même dans le domaine du génie civil, de l’art, de l’économie, de la sociologie, de l’écologie, etc. Tous ces domaines sont à mettre en contribution dans la promotion de « l’approche africaine » au rendez-vous « du donner et du recevoir » et il n’y a pas meilleur endroit que l’université pour jouer ce rôle.
Dans un autre registre, la prééminence linguistique de la langue anglaise défavorise et met hors compétition plus de 30% de la population africaine qui est d’expression (et parfois de culture) francophone. Que l’on soit en Chine, en Inde, en Iran ou en Russie, la langue de la science est l’anglais quand vient l’heure de publier ses données pour évaluation par les pairs dans des revues savantes; et cela vaut pour tous y compris quand on est la fille de Vladmir Poutine, Dr Maria Vorontsova, endocrinologue (pour l’anecdote). La science dans son universalisme se passe des dévots du patriotisme linguistique.
L’Afrique francophone ne doit pas être en reste au vu de son poids économique et démographique dans le continent. L’anglais sera utilisé si tant est que les revues scientifiques soient essentiellement américaines et que les Universités américaines dominent le top 100 des meilleures universités de recherche. D’ailleurs s’il advenait une prochaine une substitution ou mutation de langue en « science », ce sera sans aucun doute, l’Asie (avec le chinois et l’hindi) qui sera servie en premier.
Si l’Afrique est convaincue qu’elle a un rôle à jouer et qu’elle peut (doit !) contribuer de manière significative au progrès de la recherche et de l'innovation à l'échelle mondiale, il est nécessaire de promouvoir et de soutenir davantage les institutions académiques africaines (qui devraient être fédérées au niveau panafricain ou sous-régional), de renforcer la collaboration internationale (la science est par essence collaborative et se passe volontiers des frontières) pour ensuite, ensemble relever les défis.
Si la tâche est lourde et les défis immenses, questionner, débattre et être curieux de ces classements QS, THE et Shanghai constitue un très bon début de réflexion et de remise en question. Il est cependant troublant et désolant de voir que ces classements ne sont pas une ressource journalistique encore moins un argument politique dans le continent africain.
Idriss Maham