Le paludisme : une tragédie sanitaire et économique toujours d’actualité

Le 25 avril dernier, le monde célébrait la journée internationale de lutte contre le paludisme. Ce texte vulgarisé s’adresse aux lecteurs scientifiques ou non et ambitionne, au-delà de rappeler que le paludisme est toujours là, de raconter l’âpre bataille contre ce fléau sanitaire et économique.

Résumé français :

Le paludisme sévit principalement en Afrique, tuant des centaines de milliers de personnes chaque année, surtout des enfants. Malgré sa prévalence, la lutte mondiale contre ce fléau meurtrier reste insuffisante. De la quinine à l'artémisinine, les traitements ont évolué, mais les résistances persistent. Les vaccins, comme le RTS,S/AS01 et le R21/Matrix-M, offrent de nouveaux espoirs pour un monde sans paludisme à l’horizon 2030. En plus de son impact sur la santé, le paludisme représente un fardeau économique considérable pour l'Afrique, entravant la croissance et le développement. Pourtant, des investissements massifs et une approche intégrée pourraient transformer cette lutte, libérant ainsi un continent en santé et économiquement prospère.

Abstract :

Malaria is predominantly afflicting Africa, killing hundreds of thousands of people every year, especially children. Despite its prevalence, the global fight against this deadly scourge remains lagging behind. Treatments have evolved from quinine to artemisinin, but resistance persists. Vaccines such as RTS,S/AS01 and R21/Matrix-M offer new hope for a malaria-free world by 2030. In addition to its impact on health, malaria represents a considerable economic burden for Africa, hampering growth and development. Yet massive investment and an integrated approach could transform this fight, unleashing a healthy and economically prosperous continent.

Une maladie « africaine »

Imaginez tous les habitants d’une ville comme Malabo (Guinée Équatoriale), Sfax (Tunisie), Garoua (Cameroun), Oujda (Maroc) ou Bouaké (Côte d'Ivoire) mourir tous à l’échelle d’une année, un à un. Ces villes vous parlent moins ? Alors, imaginez tous les habitants d’une ville comme Toulouse, Lyon ou Vancouver mourir un à un à l’échelle d’une année … C’est approximativement dans cet ordre de grandeur que le paludisme assassine en Afrique chaque année sous le regard impuissant des dirigeants et des populations [1] : plus de 219 millions de malades et 609 000 morts chaque année.

Un petit moustique femelle appartenant au genre « Anophèles » transmet l’une des 5 espèces de parasites du genre Plasmodium pouvant causer le paludisme chez l’Homme : P. falciparum qui est l’une des plus prévalentes et la plus dangereuse, P. vivax, P. malariae, P. oval et P. knowlesi ([2].

C’est une maladie (sub)tropicale qui sévit dans les régions ou les populations sont généralement dans un grand dénuement. En effet, 94 % des cas de paludisme et 95 % des décès dus à cette maladie sont enregistrés en Afrique. Les victimes sont donc essentiellement africaines et à plus de 80% des enfants de moins de 5 ans.

Le nombre de personnes contaminées (cas) en Afrique en 2022 est l’équivalent de la population totale du Nigeria et du Sénégal réunie soit plus de 233 millions d’âmes (ou l’équivalent des populations réunies de la France, de l’Allemagne, de l’Italie et d’un pays comme la Roumanie) [1]. Bien qu’il s’agisse là de chiffres officiels, il est à noter que la plupart des cas et des décès du paludisme en Afrique ne sont ni notifiés ni enregistrés (l’OMS donne des fourchettes très larges des cas et des décès pour compenser). Ce sont des chiffres hallucinants pour une maladie évitable, traitable et surtout reconnue à l’échelle mondiale comme un problème de santé publique prioritaire depuis le début du XXIe siècle.

L’on se demande alors pourquoi la maladie parasitaire la plus fréquente au monde et qui fait autant de ravages n’a toujours pas « toute » l’attention du « monde » ? Pourquoi une maladie qui tue chaque minute un enfant de moins de 5 ans ne fait pas l’objet d’une coopération et d’une solidarité internationale plus active, agressive pour son éradication définitive ? Serait-ce parce que le paludisme est une maladie des « pauvres »? Serait-ce parce que le paludisme est une maladie « africaine » ? Serait-ce parce que le paludisme est une maladie qui ne menace pas les grandes forces qui meuvent l’économie mondiale comme le fut la COVID-19 ? La réalité est peut-être bien plus complexe.

De la quinine à l’artémisinine : âpre lutte entre résistance et résilience

Le paludisme, considéré comme l'une des maladies les plus anciennes de l'humanité, « aurait » même affecté les hommes préhistoriques selon le grand érudit, Pierre Ambroise-Thomas (décédé en 2014), ancien président de l'Académie nationale de médecine (France). L'humanité s'est donc confrontée très tôt au défi d’en découdre avec cette « fièvre mystérieuse » dont on comprenait peu de choses à l’époque où les croyances, mythes et légendes laissaient peu de marge à la science. Dans la quête incessante de « remèdes » les récits apocryphes se sont mêlés aux véritables miracles.

L’un des premiers remparts sérieux contre le paludisme fut « la poudre de la comtesse » ou quinquina. Le « miracle » s’est effectivement produit à partir des écorces de cet arbre (popularisées par les jésuites postés en Amérique du Sud) longtemps utilisé par les Amérindiens qui s’en servaient comme fébrifuge [3].

En 1820, deux chimistes français Joseph-Bienaimé Caventou et Pierre Joseph Pelletier isolent la quinine à partir des écorces de quinquina. Au passage, ils sont également à l’origine de l’isolement chimique de la chlorophylle et de la caféine. Avant 2006, date de son retrait comme traitement de premières lignes suite à des résistances (signalées depuis les années 1980 !) ou des effets indésirables, la quinine  s’est avérée être l’un des traitements les plus efficaces contre le paludisme [4]. Il s’en est suivi la mise au point de plusieurs autres composés naturels ou synthétiques (Mepacrine, Chloroquine, Mefloquine, Halofantrine, etc.) qui ont joué un rôle fondamental dans la stratégie de lutte contre le paludisme, mais qui se sont avérés plus tard problématiques en raison de résistances et de multiples effets secondaires indésirables. Par ailleurs, leur développement à l’époque ne répondait pas toujours à l’idéal d’un « monde sans paludisme », mais plutôt au pragmatisme de la guerre (la Première Guerre mondiale, la guerre du pacifique, la guerre du Viêtnam, etc.) où les soldats étaient décimés sur les lignes de front par ce fléau.

Il est important de noter aussi que certains de ces antipaludéens sont encore aujourd’hui utilisés dans des expérimentations visant à découvrir de nouvelles potentialités thérapeutiques dans le contexte d’autres maladies : c’est ce qu’on appelle dans un anglicisme barbare le « repurposing » ou en français simple… « le repositionnement ». C’est du « repurposing » de l’hydroxychloroquine dans le contexte de la COVID-19 que naissait la polémique Didier Raoult. Vous vous souvenez ?

Avec les résistances et les effets secondaires indésirables des antipaludéens, la lutte contre le paludisme semblait sans issu, dans un cul-de-sac, avant que la fondamentale et essentielle médecine traditionnelle ne vienne encore une fois inspirer une autre « solution miracle », avec une autre plante : Artemisia annua. Dans les années 1970, la Professeure Tu Youyou (Prix Nobel de médecine en 2015) de l'Académie chinoise de médecine traditionnelle extrait de cette armoise une substance appelée « artémisinine » capable d’inhiber le parasite du paludisme [5]. Les traitements à base d'artémisinine (communément appelé ACT pour Artemisinin-based Combination Therapy) se sont révélés efficaces contre toutes les formes multirésistantes des parasites et sont recommandés par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) comme traitement de première ligne [6].

Cette stratégie de combinaison thérapeutique (au moins 6 sont recommandés par l’OMS) est pensée pour que l'artémisinine à action rapide puisse réduire immédiatement la parasitémie, permettant ainsi aux parasites restants d'être éliminés par un médicament partenaire à action prolongée [6]. Pr Tu Youyou a beau être nonagénaire, elle s’intéresse et s’inquiète encore des potentielles résistances avec la stratégie ACT et continue  de faire des recommandations en ce sens sur la durée (prolongation) du traitement et la suggestion des excipients à combiner avec l’artémisinine [6].

C’est le lieu de rappeler et de revenir brièvement sur la grosse polémique née du documentaire (primé) au titre sensationnel « Malaria business, les laboratoires contre la médecine naturelle ? » écrit et réalisé par le Bruxellois Bernard Crutzen il y a 5 ans (+1,2 million de vues sur YouTube). En présentant les faits comme une guerre entre médecine moderne et traditionnelle, et en avançant qu’une simple tisane d’Artemisia peut prévenir et soigner le paludisme, le documentaire a suscité des réactions vives.

L’alerte de l’OMS concernant l’usage incontrôlé à grande échelle (automédication) de tisanes d’Artemisia (annua ou afra) tient du fait que l’artémisinine est un « précieux élixir » sur lequel repose (ou reposait) en grande partie le rêve d’un « monde sans paludisme » après la déception de la quinine, de la chloroquine et d'autres molécules devenues inefficaces. L’artémisinine a une demi-vie courte dans l’organisme et doit être utilisé, à ce stade, pour traiter les infections paludéennes et non pour la prophylaxie. D’autre part, l’agence Onusienne s’inquiète surtout de la mise illégale sur le marché de faux médicaments avec un principe actif sous dosé ou complétement absent. Les craintes de cette alerte, appuyées par le prix Nobel Pr Tu Youyou, se sont d’ailleurs matérialisées ces dernières années dans les pays d’Asie du Sud-Est et maintenant en Afrique avec des parasites devenus tolérants voire résistants aux médicaments à base d’artémisinine [7]. En effet, il est facile de décréter qu’une telle plante soigne et qu’il suffit juste d’en boire des gorgées sous forme de tisane pour guérir. Le doute n’est pas sur le fait que « ça fonctionne ou pas », mais plutôt « pour combien de temps avant de voir des résistances et pour quels risques ? ». Le bon sens appelle à se questionner sur les variations que peuvent apporter la saison de cueillette des éléments de cette plante, les méthodes d’extraction, les origines géographiques, les concentrations du principe actif dans les différentes parties de la plante. Ce sont tous ces éléments qui doivent être pris en compte pour la mise en place d’une phytothérapie efficace. Le même exercice de réflexion et de questionnement s’impose également à la médecine moderne et aux industries pharmaceutiques.

Enfin, en parallèle à la recherche frénétique de traitements, il est fondamental de rappeler l’adage qui dit qu’il vaut mieux prévenir que guérir. Il existe, comme le rappelle souvent l’OMS, des moyens efficaces et peu onéreux de prévenir le paludisme dans les zones à risques comme l’usage de moustiquaires imprégnés d’insecticides à double action (pyréthrinoïde et le chlorfénapyr.). Malheureusement, leur incroyable efficacité se confronte à la même réalité que les médicaments : la résistance [8]. Par ailleurs, les contrecoups environnementaux des insecticides en épandage ou dans l’imprégnation de moustiquaires peuvent parfois faire plus de mal que de bien [9]. Du DDT (Dichlorodiphényltrichloroéthane) aux dérivés pyréthrinoïde jusqu’aux produits chimiques de synthèse les plus récents, les moustiques et leurs parasites semblent s’adapter, résister à tout, d’où l’ouverture d’un autre front porteur d’espoir : les vaccins.

Où en sommes-nous sur les vaccins contre le paludisme ?

L’infection par le paludisme commence lorsque les moustiques (Anophèles), lors d’un repas de sang, injectent des sporozoïtes de plasmodium dans la peau; en plus simple, des cellules parasites qui vont participer activement à la phase d’infection et de propagation qui démarre dans le foie. On est donc en présence d’un environnement biologique plus sophistiqué qui met en jeu plusieurs acteurs ayant des cycles de vie ou caractéristiques complexes et distincts rendant difficile la découverte et la mise au point de vaccins efficaces.

En effet, plus d’un siècle après la découverte du parasite du paludisme par le médecin militaire français Charles Louis Alphonse Laveran (Prix Nobel de médecine en 1907; [10]) et de son mode de transmission via le vecteur anophèle dans l'organisme par le médecin militaire britannique Ronald Ross (Prix Nobel de médecine en 1902), des recherches intensives ont mobilisé des générations de chercheurs à travers le monde pour trouver un vaccin et venir à bout de ce fardeau sanitaire et socio-économique.

En 1967, la Dr Ruth Nussenzweig [11] et ses collègues de la New York University (NYU) School of Medicine ont démontré que les souris pouvaient acquérir une immunité protectrice contre un parasite du paludisme atténué par irradiation. Un peu plus tard, dans les années 70, ils ont indépendamment confirmé avec d’autres équipes de recherches cette possibilité chez l’homme avec des moustiques irradiés [12]. Une protéine à la surface des cellules parasites appelée circumsporozoïte (principal antigène à la surface des sporozoïtes) s’est avérée être la clef du processus d’acquisition de cette immunité protectrice [13]. De ces découvertes pionnières naquit l’espoir que les humains puissent être un jour protégé contre le paludisme par un vaccin.

Les travaux de Nussenzweig ont inspiré quelques années plus tard la stratégie de mise au point des vaccins RTS,S/AS01 (aussi appelé Mosquirix) [14]. Ce premier vaccin du genre contre le paludisme a été développé par le géant britannique de l’industrie pharmaceutique mondiale GlaxoSmithKline (GSK) et le Walter Reed Army Institute of Research (WRAIR) du département américain de la Défense qui ont combiné leurs forces et leurs expertises. Son évaluation en 2019 sous la supervision de l’OMS dans le cadre du MVIP (The malaria vaccine implementation programme ou Programme de mise en œuvre du vaccin antipaludique) a été un succès (test sur plus de 800000 personnes). C’est en juillet 2022, soit après 40 ans de recherche et de développement, que le vaccin RTS,S/AS01 a été préqualifié par l’OMS; c’est-à-dire littéralement que les fabricants du vaccin ont prouvé aux experts de l’ECBS (Expert Committee on Biological Standardization ou Comité d'experts de la normalisation biologique)  que ce dernier répond aux normes de qualité, d’innocuité et d’efficacité, mais aussi qu’il est adapté aux cibles. Plus de la moitié des pays africains envisage de l’introduire dans leur programme de lutte contre le paludisme pour les enfants de plus de 5 mois. Environ 2millions de doses sont déjà administrés avec une efficacité globale située entre 35 et 45%.

Très récemment, le 21 décembre 2023, après plus de 30 ans de recherche et de développement, l’humanité a reçu une autre grande nouvelle, la préqualification d’un nouveau vaccin appelé R21/Matrix-M [15]. Administré avant la saison du paludisme (saison sèche), il dépasse les 75% d’efficacité sur un an exigé par l’OMS et atteint plus de 80% en dose de rappel après la série primaire de vaccination (3 doses) [16]. Des études plus larges sont en cours et doivent confirmer sa haute efficacité. C’est un « proche cousin » du vaccin RTS,S/AS01 qui a été mis au point par le Serum Institute of India (plus grand fabricant de vaccin au monde) en collaboration avec l’Université d’Oxford (via l’Institut Jenner) et Novavax. À travers de rigoureux essais contrôlés randomisés chacun des deux vaccins RTS,S/AS01 et R21/Matrix-M a confirmé son innocuité, immunogénicité et efficacité dans les zones d’endémies palustres.

D’autres vaccins très prometteurs ciblant différents stades de développement du parasite, différentes espèces sont en cours de développement et une dizaine d’entre eux passent aux essais cliniques chaque année [17,18]; un jour peut-être ils viendront rejoindre le RTS,S/AS01 et le R21/Matrix-M au podium lorsqu’ils attesteront de leur bon profil de sécurité.

Des avancées majeures ont été accomplies grâce à de multiples initiatives mondiales accompagnées d’importants investissements financiers. Le fonds mondial (communément appelé Global Fund) qui fournit 65 % de l'ensemble du financement international des programmes de lutte contre le paludisme estime avoir besoin d’au minimum 18 milliards de dollars US pour soutenir les programmes de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme. D’ici 2030, les besoins selon le nouveau cadre d’action et d’investissement de l’OMS sont estimés à un peu plus de 100 milliards de dollars US pour le paludisme. De concert avec les communautés touchées, la lutte contre ces fléaux est avant tout une question d’investissement massif qui fait appel au secteur privé et à la bonne volonté des gouvernements.

Il est urgent de changer de perspective et ne plus voir le paludisme « uniquement » comme un « problème sanitaire » et adopter une approche qui envisage cette maladie comme un grand problème économique privant le monde d’une main-d’œuvre productive et en bonne santé.

Plus qu’une question de santé, mais d’économie

Il est clairement établi que la santé est un paramètre fondamental de l’économie et donc de la croissance. Leurs liens intimes ne souffrent plus d’aucun doute et n’ont plus besoin d’être validés par des approches empiriques, des tests de causalité ou des modèles de régression.

Au-delà donc de l’aspect « sanitaire » préoccupant du paludisme, c’est son cout économique au continent qui inquiète davantage. En effet, la maladie apparait comme l’un des plus grands fardeaux économiques de l’Afrique [19]. Dans les années 2010 déjà, des économistes estimaient pour le compte du RBM (Roll Back Malaria) que le paludisme est responsable d'une « pénalité de croissance » pouvant aller jusqu'à 1,3 % par an dans certains pays africains et qu’il peut représenter jusqu’à 40% des dépenses de santé publique, 30 à 50 % des hospitalisations et jusqu'à 50 % des consultations externes [20]. Plus récemment, une équipe sud-africaine de la School of Nursing and Public Health démontrait qu’au Zimbabwe les ménages pouvaient dépenser jusqu’à 56 $ (soit 35000 Franc CFA ou 53 Euros) pour gérer une seule épisode de paludisme compliqué en plus d’une perte moyenne de 8 jours de travail (soit plus de 24% de perte de revenu mensuel du ménage [21]).

Le paludisme est ainsi un énorme gouffre financier; des « sous » qui auraient pu servir à la prévention et à la lutte contre d’autres maladies émergentes encore sous les angles morts des politiques de santé publique dans le continent.

À titre illustratif, l’espece vivax, qui contrairement à falciparum, peut établir une forme dormante (qui se réactive périodiquement), est très peu présent en Afrique (plutôt répandu en Asie et en Amérique latine) peut couter « à elle seule » jusqu’à 360 millions de dollars US aux contribuables chaque année [22].

En plus des onéreux frais de préventions et de traitements, le paludisme c’est l’absentéisme des parents à leurs postes de travail (effets sur la productivité et les revenus familiaux; [23]) et des enfants à l’école (effets sur l’éducation et le développement social/cognitif; [24]).

Dans les zones où la maladie est endémique, elle installe un ensemble de réticences et de désintérêts qui conduit à une perte en PIB (Produit Intérieur Brut) chiffrée en milliards de dollars US [20]. Il s’agit essentiellement de la réticence des investissements industriels et en cultures commerciales à forte intensité de main-d'œuvre mais aussi de la réticence des voyageurs à visiter ces zones avec donc des conséquences directes sur l’industrie touristique. Ainsi nait et grandit un cycle implacable de pauvreté dans les zones impaludées avec un épuisement des ressources personnelles et communautaires.

Plus qu’une tragédie sanitaire caractérisée par les frissons, les douleurs abdominales/musculaires/articulaires, les vomissements, les épisodes de fatigue, de fièvre et de malaise, le paludisme est aujourd’hui un problème économique pour l’Afrique, et pour le monde.

Pour mieux documenter l’« écart de santé » et la charge de morbidité supportée par les individus, l’OMS se réfère de plus en plus à un indicateur appelé DALY (Disease Adjusted Life Years) ou EVCI (Espérance de Vie Corrigée de l'Incapacité). Il se calcule en additionnant les années de vie perdues en raison de la mortalité prématurée et des années vécues avec un handicap en raison des cas prévalents d’une maladie donnée : globalement 1 DALY, c’est la perte de l'équivalent d'une année de pleine santé. Dans de nombreux pays africains, le paludisme est dans le top 10 des principales causes de DALY et ce dernier met en exergue à quel point le paludisme est un fardeau sanitaire et économique. Des pays comme le Burkina, le Bénin, le Mali ou le Mozambique ont perdu plus 5000 DALY (par 100000 habitants) dans l’année pré-pandémique [25].

Malgré les chocs multiples et vigoureux, l’Afrique (sauf deux pays) a connu à l’aube de la victoire contre la COVID (année 2022) un PIB positif, supérieur à la moyenne mondiale de plus de 3,4 % et l’un des rares qui a rebondi et s’est consolidé en 2023-2024 [26]. Sa croissance démographique et économique soutenue offre davantage de possibilités d’exportation de matières premières et de produits agricoles, mais aussi des opportunités commerciales et d'investissement aux entreprises occidentales. Pour promouvoir le développement économique mutuel, il est nécessaire pour tous, d’avoir une « Afrique en santé, sans paludisme ».

Conclusion

À la fin du 20e siècle, l’humanité nourrissait l’espoir de venir à bout du paludisme avec un taux de mortalité qui a chuté d’environ 60% et une incidence mondiale des cas qui diminuait de façon progressive, allant jusqu’à 27% entre 2000 et 2015 (d’autres chiffres font même état d’une diminution de 40% à l’échelle de la planète) [27,28]. Bien que les progrès réalisés dans la lutte contre le paludisme aient été immenses, les récents développements montrent un ralentissement (voire une inversion) inquiétant de cette tendance. De 2015 à 2019, ce taux de diminution n’était plus que de 2% compromettant de façon irréversible les ambitieux objectifs pour 2020 de la stratégie mondiale contre le paludisme de l’OMS.  Pendant la première année de la pandémie de COVID-19, l’OMS a même observé une augmentation du nombre de décès (+12%) et du nombre de cas (+6%).

Cette stagnation des progrès réalisés dans la lutte contre le paludisme est due en partie aux phénomènes de résistance des parasites qui ont muté et qui ont appris à narguer notre système immunitaire en changeant de caractéristiques.

En outre, il faut ajouter les menaces auxquelles font face les pays d’Afrique comme les crises politiques et humanitaires qui perturbent les programmes de lutte ainsi que les changements climatiques [29] qui favorisent un retour en force des moustiques. C’est sans oublier les autres défis sanitaires (COVID-19, Sida, Tuberculose et d’autres maladies émergentes). L’OMS parle d’une « convergence de plusieurs menaces » qui minent les efforts d’éradication du paludisme en Afrique.

Il y a plus de 50 ans, les États-Unis et l’Europe se sont débarrassés du paludisme par l’assèchement des zones humides de reproduction des moustiques, l’usage massif d’insecticides et de moustiquaires. Mais aussi surtout grâce à l’amélioration des diagnostics et des traitements antipaludéens. L’on se dit alors qu’il est possible d’y arriver également en Afrique où certains pays comme l'Algérie, le Cap-Vert et l’île Maurice ont déjà été déclarés exempts de paludisme depuis 2019 après une âpre bataille. Avec la disponibilité de deux vaccins et les recherches effrénées de solutions thérapeutiques, le potentiel d’un monde sans paludisme est à portée de main. À défaut d’une élimination totale, son contrôle sans complications mortelles est bien possible dans 5 ans. Alors, espérons !

Idrissa Diallo, PhD

Biologiste moléculaire

Diallow2@gmail.com

 

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