À l'assaut du palais d'Etoudi, chronique d'une élection déroutante _ Partie 3
Lassitude d'un pouvoir et contexte de crises multiples
Les scrutins s’annoncent dans une atmosphère très tendue.
Au Cameroun, depuis très longtemps le fédéralisme s’oppose farouchement à l’État unitaire avec des hauts et des bas ; ces tensions débouchent sur l’émergence de mouvements séparatistes avec en jeu, le rêve d’un État indépendant dans le Sud-Ouest (Ambazonie). C’est une crise qui prend racine dans le contexte de la décolonisation, mais son feu tenace couve toujours sous la braise d’une colère générale. On aurait donc tort de réduire ce problème à une question de langue, surtout de la langue du colonisateur rappelons-le. En effet, dans un Cameroun que l’on peine à croire « bilingue », les anglophones se sont toujours sentis marginalisés et en dehors du système.
Du mépris général, se sont rajouté les menaces de Yaoundé n’hésitant pas à utiliser la force pour mater, brimer les révoltes et taxer de « terroristes », les indépendantistes/séparatistes (ces termes portent à confusion). Aujourd’hui, des avocats, des enseignants, des citoyens de tous bords simplement exaspérés ont saisi que leur cause était « commune » et ont fait front commun pour plus de justice sociale. Les malheurs ne venant jamais seuls, des extrémistes s’y sont mêlées et sèment allègrement le chaos.
Dans un Cameroun plus que jamais révolté et sous le regard impuissant d’un pouvoir sans réelle réponse démocratique et diplomatique, la crise anglophone sera au cœur de la campagne électorale de 2018. Les candidats n’auront pas le choix, il faudra réussir là où le père a vraisemblablement échoué, prendre position et décliner sa proposition de sortie de crise pour le long terme.
Dans un autre théâtre d’opérations, une autre crise couve. Dans le fond fin du Nord, Boko Haram fait régner la terreur. Les attaques djihadistes ont entrainé le déplacement de centaines de milliers de personnes et une instabilité rampante jusqu’au-delà de la région. Sur fond de lutte acharnée contre le terrorisme, avec des djihadistes se jouant des frontières « poreuses » entre le Cameroun et le Nigeria voisin, aucun pays ne veut être le maillon faible dans cette bataille. La gestion de cette crise, enjeu de sécurité nationale, sera également au cœur de la bataille électorale de 2018. Et cela ne semble guère être à la faveur du père.
En plus de ces deux crises majeures, l’actualité du pays a toujours été jalonnée d’évènements qui mettent à nu un pouvoir présent partout de par son opulence et sa faim de soumettre les masses, et nulle part à la fois de par les responsabilités. La catastrophe ferroviaire du 21 octobre 2016 qui a couté la vie à 79 êtres et avec pas moins de 600 blessés, illustre parfaitement ce statut paradoxal du pouvoir de Yaoundé. Cette tragédie dont CAMRAIL fut désigné responsable (avec Bolloré comme actionnaire majoritaire, vous me voyez venir !), a endeuillé le pays et choqué au-delà des frontières. Comme à son habitude l’empereur du silence s’était illustré par son absence et sa réaction tardive puisque depuis plus d’un mois en visite privée dans son hôtel favori de Genève.
S’agissant des voyages, il faut dire que le Père semble mal supporter l’air de Yaoundé, la station balnéaire de Kribi un peu moins. En collaboration avec Transparency, l’OCCRP avait révélé en février dernier qu’il aurait dépensé plus de 65 millions de dollars en déplacements à l’étranger sans compter les frais de locations d’avion et les services annexes ; la légende populaire raconte en outre que Chantal entretient son imposante coiffure elle aussi dans les salons de Genève.
Une myriade d’évènements graves suscitant l’émoi et la stupeur s’est abattue dans le pays ces dernières années, impliquant de près ou de loin le Gouvernement ; de la mort suspecte d’un prélat marquant sa rupture (le mot est fort) avec l’Église aux vidéos d’exécutions sommaires attribuées à l’Armée camerounaise qui nient toute implication, passant par les exactions provocatrices des sécessionnistes/séparatistes radicaux, les déboires n’en finissent pas. L’opinion en est réduite souvent à des conjectures auxquelles le locataire d’Etoudi les a habitués et semble se résigner à DIEU sur la situation du pays.
Cependant les frasques du Père comme son silence et son absence frustrent surtout et particulièrement la jeunesse, la jeunesse camerounaise panafricaine, la jeunesse connectée et rêveuse d’un Cameroun présent sur la scène africaine et internationale. En effet, dans le contexte d’une immense fracture numérique, les réseaux sociaux sont très accessibles à ces jeunes et leur servent de caisse de résonance ; ils y découvrent l’« ailleurs », s’autorisent des « comparaisons », se permettent des « rêves » à l’infini comme la toile ; c’est aussi et surtout un exutoire où ils crient leur volonté de changement, leur désaccord envers le népotisme, la gabegie, le pouvoir éternel du père. La même dynamique s’observe au sein de la diaspora camerounaise à une échelle encore plus organisée. De Genève à Paris passant par d’autres villes européennes, des patriotes sensibilisent, alertent et même parfois s’organisent pour perturber les séjours privés du chef de l’État, lui qui est rarement en visite d’État officielle.
Avec ce contexte de crises multiples mal gérées par un pouvoir qui lasse et épuise, le potentiel insurrectionnel est aujourd’hui atteint. Il reste à savoir sous quelle forme il s’exprimera, sur quelle force il s’appuiera, avec quelles armes il se battra
Idriss Maham